Peut-on faire dire n’importe quoi à la science ? La réponse est clairement OUI et voici comment

Pardonnez-moi de vous rappeler ce constat douloureux mais nous vivons dans un monde occidental en déclin. Les savoirs maîtrisés 100 ans auparavant ne le sont plus. La corruption a acheté la rigueur et le sérieux. Et l’information délivrée par les journalistes s’est transformée en propagande parfaitement organisée à dessein.

Les raisons sont multiples et je n’entrerai pas aujourd’hui dans ces détails. Mais, je me dois de rappeler ce contexte pour le sujet que je vais aborder avec vous, concernant spécifiquement la production de littérature scientifique et surtout … la facilité de faire dire à la science ce qu’elle ne dit pas. Comment ? Notamment grâce à une paresse journalistique et un biais systématique de notre époque vers le sensationnalisme !

Comme vous le savez, une « nouvelle » dans les médias chasse celle publiée une heure plus tôt. Ces médias sont friands de scandales, de nouvelles effrayantes et d’annonces apocalyptiques qui n’ont aucun autre objectif que d’entretenir une peur permanente pour capter votre attention. Pour atteindre ce but, les médias ont besoin d’une production scientifique appelée « putaclic » ou « piège à clics » c’est-à-dire d’un titre qui immédiatement suscitera chez vous l’envie irrépressible de cliquer et d’en savoir plus… Ces médias sont aujourd’hui des producteurs de peur, car la peur est le meilleur moteur pour capter votre attention et votre temps de cerveau, pour in fine vendre (un produit, un service et/ou vos données) ! À titre d’exemple, si je veux attirer votre attention sur l’iode, il sera préférable de titrer mon article : « Demain, tous crétins ? » plutôt que « De l’importance de l’iode à tous les âges » … c’est bien entendu le second titre que vous trouverez sur EatFat2BeFit 😉. C’est un biais naturel et nous y sommes tous sensibles, même en le sachant, il est facile de tomber dans ce piège.

 

Comme le disait l’ancien patron de TF1, Patrick Le Lay, dans son ouvrage de 2004 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » De façon évidente, ce n’est pas en faisant un reportage sur la floraison en haute montagne au début de l’été que l’on va capter votre attention, mais plutôt en vous annonçant que vous allez prochainement mourir dans d’atroces souffrances si vous ne prenez pas connaissance de ce qui va suivre… Heureusement pour eux et malheureusement pour vous, ce piège fonctionne à tous les coups !

 

J’ai compris ça il y a longtemps, et j’ai aussi compris qu’il m’était matériellement impossible de répondre et d’argumenter pour débusquer tous les mensonges et la propagande permis par l’utilisation frauduleuse de la production scientifique. Juste pour rappel, ce sont en moyenne 96 000 nouvelles études qui sont disponibles dans la base PubMed chaque mois, c’est-à-dire plus de 3 150 nouvelles publications chaque jour en moyenne (ou plus parlant : 2 études par minute) ! Trier le vrai du faux, le bon du mauvais ou du corrompu dans une telle masse nécessiterait des centaines de personnes hautement qualifiées à temps plein, et de fait un financement colossal pour les rémunérer.

 

Les médias ne font donc qu’une seule chose : du « Cherry picking » comme le diraient les anglophones ! En français, on parlera de « picorer » ce qui fera les gros titres, le scandale du jour, ou dit autrement « quel est ce nouveau truc qui va tous nous tuer aujourd’hui ». C’est d’ailleurs facile à détecter, il suffit de voir la nouvelle « étude scandaleuse » qui fera le tour du monde en 24h. Vous savez d’avance qu’un service de relation presse est à la manœuvre pour diffuser et traduire le résumé de l’étude que personne (ou presque) n’a lu. Il est matériellement impossible d’obtenir une étude qui se trouve derrière un paywall, de la lire, de lire ses annexes, de la comprendre et d’en faire un article journalistique minutieux dans la même journée ! On sait donc grâce à leur rapidité que les médias n’ont rien lu d’autre que le communiqué de presse et le titre « putaclic » qui va capter l’attention de sa cible.

 

Je suis personnellement et quotidiennement au contact de toute cette production scientifique. De plus, je collectionne des milliers d’études scientifiques en PDF. Et comme vous le savez chaque vendredi depuis des années, je réalise ma revue hebdomadaire pour trier parmi les centaines (pour lesquelles j’ai mis en place une veille par mots-clés), celles que je demanderai aux auteurs pour ensuite les lire en … intégralité. Par expérience, je pense pouvoir dire que 80% de la production scientifique est  littéralement « de la merde », soyons honnêtes. Mais, les 20% restants ne sont pas non plus dépourvus de défauts. Ainsi, aujourd’hui, la production scientifique de qualité est un bien précieux et rare ! Malheureusement, il n’y a aucun autre moyen que de collecter l’ensemble, puis de trier, pour y dénicher le meilleur, ces pépites. Bien entendu, ce processus est plus que chronophage et épuisant, mais c’est aujourd’hui la seule option.

 

  • Entre les problèmes de financements d’études de commande, qui visent à confirmer que le produit étudié est suffisamment « bon » pour être mis sur le marché.
  • Entre les problèmes de conflits d’intérêts parfois difficiles à détecter, c’est-à-dire des personnes qui reçoivent une part importante de leurs revenus d’une entité qui ne leur permet plus d’être neutres dans leurs travaux.
  • Entre les études qui ne posent pas les bonnes questions et concluent avec des réponses stupides.
  • Entre les études qui vont étudier chez l’animal ce qui ne peut pas fonctionner de manière identique chez l’Homme.
  • Entre les études dont le contenu et les données n’ont strictement rien à voir avec leur résumé et leur titre.
  • Entre les études mal conçues, dont le titre va évidemment mélanger corrélation et causalité, simplement pour aider le service de relation presse pour que cette étude puisse avoir un large relais médiatique.

Nous avons vraiment le choix pour trouver notre « mauvaise science ». Mais, j’imagine qu’à ce niveau de lecture, vous ne me croyez pas et vous avez parfaitement raison. Alors je vais vous en apporter la preuve scientifique publiée dans le prestigieux BMJ (British Medical Journal) !

 

Peut-on faire dire n’importe quoi à une véritable publication scientifique publiée dans une revue prestigieuse ?

 

La réponse est franchement : OUI ! On peut, c’est facile et c’est déjà ce qui se fait quotidiennement. Mais, pour le détecter, cela nécessite un œil très affûté, car le diable se cache très souvent dans un détail, un chiffre, ou une donnée absente. En plus de cela, « cette chasse à la mauvaise science » nécessite un temps considérable…

 

Je vais vous donner un exemple du niveau de stupidité que nous pouvons atteindre, tout en nous blottissant dans l’épaisse protection de la notoriété d’une revue médicale de premier plan et l’apparence d’une science la plus sérieuse : oui, c’est publié dans le BMJ, c’est prouvé, c’est scientifiquement démontré, et pourtant personne au monde ne se risquerait à suivre la conclusion de l’étude qui va suivre…

 

Depuis 1840, le BMJ (British Medical Journal) est un des plus grands journaux médicaux du monde, et durant des décennies, il n’avait que le Lancet comme concurrent. Sa notoriété, son comité de lecture, font de cette revue le journal de référence pour les scientifiques du monde entier, grâce notamment à sa défense de la « médecine factuelle ».

 

Je vais donc vous parler d’un article, publié en novembre 2018, par l’auteur principal Robert W. Yeh, professeur de médecine à l’université de Harvard aux USA. Ce papier, il l’a écrit avec 10 collègues, ce qui nous donne un aspect parfaitement sérieux, pour un papier scientifique destiné à devenir une référence, avec :

  • Une revue prestigieuse (le BMJ).
  • 11 coauteurs.
  • Un auteur principal, professeur à Harvard.
  • Un essai contrôlé et randomisé (étalon or en matière de recherche scientifique).
  • La première preuve sur un sujet qui n’en avait jamais bénéficié.

Sur le papier, tout ceci semble prometteur et très sérieux :

Etude BMJ Parachute

L’objectif de cette étude : Déterminer si l’utilisation d’un parachute prévient la mort ou des blessures traumatiques graves lors d’un saut d’un avion.

 

Aussi surprenant que ça puisse l’être, jamais une étude contrôlée et randomisée n’avait été faite pour prouver si un parachute prévenait la mort ou les blessures lors d’un saut en avion. (Ne souriez pas, c’est très sérieux !) Il n’y avait aucune preuve pour confirmer ou infirmer l’utilité d’un parachute si vous sautez d’un avion. Il était donc temps de remédier à cela …

 

Modalités : 92 passagers d’avion âgés de 18 ans et plus ont été sélectionnés pour participer. 23 ont accepté d’être enrôlés et ont été randomisés. L’intervention consiste à sauter d’un aéronef (avion ou hélicoptère) avec un parachute versus un sac à dos vide.

 

On sélectionne donc 92 personnes (les passagers) à qui l’on va demander de sauter d’un avion lors d’une expérience, soit avec un parachute, soit avec un sac à dos vide (sans parachute). Au total, 23 personnes ont accepté de franchir le pas, soit depuis un biplan sur un site de Martha’s Vineyard, dans le Massachusetts, soit depuis un hélicoptère sur un site du Michigan. Jusqu’ici, la méthodologie est simple et compréhensible par tous. L’idée est de voir à l’atterrissage s’il y a une différence entre le groupe « parachute » et le groupe « sac à dos vide » en matière de décès ou de blessures. C’est une approche standard aujourd’hui pour apporter une preuve incontestable d’efficacité ou d’inefficacité. En attribuant au hasard soit un parachute, soit un sac à dos vide, sans dire au sujet ce que son sac contient, on obtient un essai randomisé et contrôlé.

 

Évaluation des résultats :  elle est réalisée en comptabilisant les décès ou blessures traumatiques majeures lors de l’impact avec le sol mesurés immédiatement après l’atterrissage.

 

C’est-à-dire que l’on va immédiatement mesurer après l’atterrissage des deux groupes, s’il y a décès ou traumatisme. L’objectif est de comparer les résultats entre les deux groupes. À ce niveau, vous allez me dire : « mais on connaît déjà le résultat, c’est évident ! ». Et je vois déjà s’esquisser le sourire de certains derrière leur écran. Ne soyez pas si impatients, le dénouement ─ inattendu ─ est proche !

 

Voici les résultats de l’étude : « L’utilisation du parachute n’a pas significativement réduit le nombre de décès ou de blessures graves (0 % pour le parachute contre 0 % pour le contrôle ; P>0,9). Ce résultat était constant dans plusieurs sous-groupes. Par rapport aux individus dépistés, mais non-inscrits, les participants inclus dans l’étude étaient à bord d’un avion à une altitude significativement plus basse (moyenne de 0,6 m pour les participants v moyenne de 9146 m pour les non-participants; P<0,001) et à une vitesse inférieure (moyenne de 0 km/ h v moyenne de 800 km/h ; P<0,001). »

 

Généralement, il faut un œil avisé pour détecter l’entourloupe, l’avez-vous identifiée ?

 

Et, maintenant, voici les conclusions : « L’utilisation du parachute n’a pas réduit le nombre de décès ou de blessures traumatiques majeures lors du saut d’un avion dans la première évaluation randomisée de cette intervention. Cependant, l’essai n’a pu recruter que des participants sur de petits avions stationnaires au sol, ce qui suggère une extrapolation prudente aux sauts à haute altitude. Lorsque des croyances concernant l’efficacité d’une intervention existent dans la communauté, des essais randomisés peuvent recruter de manière sélective des personnes ayant une probabilité perçue de bénéfice plus faible, diminuant ainsi l’applicabilité des résultats à la pratique clinique. »

 

Oui, vous avez bien lu !

Je vais répéter la conclusion de la première étude contrôlée et randomisée sur le rôle du parachute lors d’un saut en avion : « L’utilisation du parachute n’a pas réduit le nombre de décès ou de blessures traumatiques majeures lors du saut d’un avion dans la première évaluation randomisée de cette intervention. »

Si vous avez lu ça et que vous avez compris tout le sérieux, de ce papier, si vous croyez dans la science, alors la prochaine fois que vous sauterez d’un avion ou si vous envisagez de la faire, vous savez qu’entre un sac à dos vide et un parachute, il n’y aura pas de différence…

 

À présent, je vous autorise à rire 😊Mais ce n’est pas une blague, c’est très sérieux, c’est une véritable étude que vous pouvez gratuitement consulter en cliquant ici. Voici le saut en parachute en image :

saut

En lisant cette étude, vous découvrirez en détail, comment on peut volontairement faire passer quelque chose de stupide comme quelque chose de très sérieux et de scientifiquement irréprochable. Bien entendu l’exemple est extrême et, c’est justement pour cette raison qu’il est remarquable. Comprenez que s’il est aussi facile de démontrer qu’un parachute n’augmente pas vos chances de survie lors d’un saut en avion (ou à l’inverse un sac à dos vide), pour des molécules complexes aux effets limités ou des principes biologiques ultra-compliqués et imbriqués à d’autres, on peut facilement prouver scientifiquement tout et son contraire ! Oui, il est très simple sous une apparence scientifique très sérieuse, de faire dire n’importe quoi à la Science !

Conclusion

J’ai publié ce billet, pour susciter à dessein chez vous un esprit scientifique critique ! La science est ce qu’elle est. La corruption, la mauvaise science, les conflits d’intérêts sont ce qu’ils sont. Cependant, vous pouvez développer un esprit critique pour comprendre et décortiquer le fait scientifique que l’on vous présente. La prochaine fois que vous lirez les gros titres de la presse qui vous annonce « une nouvelle fin du monde » souvenez-vous de l’étude randomisée et contrôlée sur le parachute. En 2018, quand cette étude a été publiée, elle n’a reçu aucune attention de la part de la presse, puisque personne n’a payé de communiqué ou de service de relation avec la presse. Mais, imaginez un titre comme : « Parachutisme : la preuve scientifique que le parachute ne sert à rien pour éviter la mort ! » Vous voyez l’ampleur du désastre ?

Les auteurs de l’étude ne réfutent pas l’importance des essais contrôlés randomisés, allant même jusqu’à écrire : « Nous pensons que de tels essais restent la norme de référence pour évaluer la plupart des nouveaux traitements. Cela étant dit, expliquent-ils, l’essai montre qu’une interprétation précise nécessite plus qu’une lecture superficielle du résumé ». Dit autrement, ils pensent que l’essai contrôlé et randomisé devrait être la norme pour apporter une preuve, mais qu’à lui seul, il n’est pas la preuve, car les détails et la méthode comptent.

Grâce à l’histoire de la production scientifique, nous savons que c’est un milieu corrompu, gangréné de conflits d’intérêts divers et variés. Nous savons aussi que la majorité de la production scientifique n’est rien d’autre que de la mauvaise science produite pour « vendre » quelque chose. À cela, ajoutons l’intérêt croissant des médias pour l’alarmisme dans tous les domaines qui vont du climat à votre cholestérol en passant par toutes les molécules que l’on veut vous refourguer à n’importe quel prix.

Vous savez maintenant que l’on peut faire dire absolument n’importe quoi à la science et que c’est scientifiquement prouvé ! Vous pouvez écouter (en anglais) l’interview de l’auteur ici.

 

L’antidote à toute cette mauvaise science est de simplement la lire, la comprendre et ne pas s’arrêter aux gros titres qu’en font les médias ! C’est d’ailleurs exactement ce que l’on vous apprend à faire grâce à notre formation de la Céto-Academy !

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7 réponses sur « Peut-on faire dire n’importe quoi à la science ? La réponse est clairement OUI et voici comment »

Merci beaucoup Ulrich pour cet article. J’avais entendu parler de cette étude… Je me méfie depuis longtemps des études mises en avant dans les média grand public, mais pas que… Il y a beaucoup d’études qui sortent, de plus en plus, et je ne sais pas si ça relève de la progression de la science ou de la progression de cette société de l’instantanéité où il faut aller très vite quitte à rester en surface… Si on se limite aux etudes médicales, Il faut apprendre un minimum de notions de physiologie de base, c’est possible (cf. la Ceto academy !) et franchement ça permet de prendre du recul, ce qui est déjà beaucoup…. Merci encore, bisous à toi et à Nelly 😘😘😘

Bonjour Ulrich, merci pour tout ceci, ça servira d’exemple.
En tout cas l’issu de l’étude aurait été sympa avec des blessures aux chevilles avec parachute du fait du déséquilibre avec le poids. “Les parachutes augmentent les risques de traumatisme” clairement c’est accrocheur!
Après pour une étude réelle niveau éthique c’est un peu moyen… Mais j’ai peut-être des noms si tu as besoin 🙂

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