L’Érythritol va-t-il vous tuer d’une crise cardiaque ?

C’en est fini de l’usage de l’Érythritol en régime cétogène ! Tous les adeptes du régime Keto pauvre en glucides et riche en lipides, qui utilisent l’alcool de sucre Érythritol depuis des décennies, deviennent d’un coup des condamnés avec en guise d’épée de Damoclès, celle de l’incident cardiovasculaire…

Ce 28 février, je concède avoir été intrigué sur le coup par cette véritable traînée de poudre. Je me suis immédiatement demandé qui avait financé cette campagne médiatique, pour que l’ensemble de la presse mondiale la reprenne, le même jour avec les mêmes conclusions. Il faut toujours se méfier d’une étude qui permet de produire en moins de 24h autant d’articles dans les médias. Car ce n’est rien d’autre que la preuve d’une immense campagne de communication savamment orchestrée. Vous vous en doutez cela a un coût, donc savoir à qui elle profite devient une évidence ! Je ne vais pas vous faire languir, la réponse rapide est : probablement Procter & Gamble. 😊

Pour rappel, ce sont en moyenne 96 000 nouvelles publications scientifiques qui sont répertoriées dans la base PubMed tous les mois. 99,9% ne recevront jamais la moindre attention de la part des médias. De fait, si une étude est relayée dans le monde entier le même jour via des communiqués de presse traduits dans toutes les langues, il faut immédiatement se poser la question de l’entité qui finance cette campagne de communication et dans quel but. Le monde entier se fiche littéralement des nouvelles découvertes scientifiques, sauf quand celles-ci permettront de faire beaucoup d’argent. Chaque vendredi, je reçois plusieurs études alertant sur le scandale de la carence généralisée en iode, par exemple, mais cela ne fait jamais les gros titres. La raison en est simple : il n’y a personne pour payer des communiqués de presse et de la publicité dans les médias sur ce sujet, et puis l’iode, ça ne rapporte rien ou presque.  Si demain, on découvrait que manger un aliment en particulier, non brevetable, vous évite le cancer, vous ne le saurez pas non plus pour les mêmes raisons. Mais, si une startup médicale mettait en évidence une chance de survie supplémentaire de seulement 1 pour 100 pour un traitement coûtant 10 000 € par mois, le monde entier le saurait, ça, je peux vous le garantir !

Si vous avez lu mon dossier spécial : « Peut-on faire dire n’importe quoi à la science ? », vous savez que la réponse est très clairement OUI ! Aujourd’hui, traitons donc d’un cas concret qui s’offre à nous, avec cette étude « frelatée » sur l’Érythritol.

En investigateur sérieux, mon tout premier réflexe ce 28 février fut donc de demander à l’auteur principal de ce papier (le Dr Stanley Hazen), une copie en PDF pour en comprendre le contenu. Et ainsi constater ou non, si ces nouvelles informations contredisaient les dizaines d’années de publications scientifiques au sujet de l’Érythritol comme sucrant alternatif sain et sûr ! Petit rappel important pour ceux à  qui l’information ferait défaut, le Dr Stanley Hazen, c’était déjà lui le responsable du scandale du TMAO et de la viande rouge qui allait soi-disant tous nous tuer. Le but était bien entendu d’aider Procter & Gamble à nous vendre ses pilules. De quoi déjà nous donner un indice sur l’objectif de sa nouvelle étude, non ?

Allez, un rapide résumé s’impose, je crois : le Dr Stanley Hazen a publié des recherches montrant les effets délétères du TMAO (Trimethylamine N-oxide) sur la santé cardiovasculaire. Aucune différence n’a été faite entre les personnes métaboliquement en mauvaise santé et ceux en bonne santé. Mais fait intéressant, le Dr Stanley Hazen est aussi le co-inventeur d’un test de mesure de TMAO, permettant à P&G de créer un marché pour ses traitements. En 2021, le Dr Stanley Hazen a flingué la viande rouge avec sa TMAO. En 2023, il reprend la même méthodologie pour cette fois flinguer mondialement l’Érythritol. Vous pariez combien que dans quelques mois un nouveau test pour mesurer l’Érythritol dans le sang va arriver sur le marché avec comme co-inventeur, le Dr Stanley Hazen ?

Vous voyez mieux l’idée ? L’homme n’en est donc pas son coup d’essai et d’ailleurs cette recherche sur l’Érythritol dont il est question aujourd’hui, bénéficie des mêmes financements. Le 1 mars 2023, j’ai donc fini par recevoir l’étude en PDF. Je m’excuse donc pour le délai de rédaction de cet article, mais je suis de la vieille école. Et contrairement à certains journalistes aujourd’hui, je ne parle pas de ce que je n’ai pas lu. Alors, j’ai lu… Et, cela prend du temps pour bien tout comprendre, surtout … ce que l’on ne nous dit pas.

L’Érythritol c’est quoi, d’où vient-il, et comment le fabrique-t-on ?

Pour cet article, je vais m’imposer de rester le plus clair et le plus accessible possible. En conséquence, je ne vais pas m’étaler sur un cours de chimie organique qui n’intéresserait que les scientifiques, mais plutôt essayer de rendre compréhensible par tous, ce qu’est et ce que n’est pas l’Érythritol, et surtout déterminer s’il a une place dans un régime cétogène bien formulé.

C’est dans les années 1850 que l’Érythritol est isolé et identifié pour la première fois. Mais, ce n’est qu’au début des années 1990 que le Japon commence à le fabriquer massivement comme nouvel édulcorant, c’est-à-dire une alternative au sucre (saccharose) que nous connaissons tous[1].

Ce « sucrant » est donc techniquement un membre des glucides, et plus spécifiquement des « alcools de sucre » ou polyols, comme le Sorbitol, le Maltitol, le Xylitol, etc. Mais, il possède des propriétés spécifiques qui font de lui un édulcorant apprécié par les industriels aussi bien que par les particuliers. Effectivement, il s’accompagne de beaucoup moins de désagréments digestifs (notamment fermentation, ballonnement) que le Xylitol, Maltitol et Sorbitol par exemple.

Une fois que l’Érythritol est consommé, il pénètre dans votre corps, il est rapidement absorbé dans l’intestin grêle puis la circulation sanguine, avec seulement 4 à 20 % qui restent dans le côlon. Enfin, 80 à 96% seront excrétés dans nos urines. L’Érythritol « traverse » notre organisme en restant intact, avec une métabolisation quasi nulle. Ce qui fait la différence d’absorption est principalement la dose. Si vous avalez en une fois 5 g d’Érythritol ou 50 g, l’absorption intestinale sera plus ou moins importante. C’est pour cette raison que l’utilisation d’Érythritol pur, en grande quantité, pose certains problèmes d’inconfort digestif puisqu’il peut fermenter dans votre intestin (côlon). Enfin, pour les plus geeks d’entre nous, et pour être plus précis encore, même s’il est juste de dire que l’Érythritol « nous traverse » sans être métabolisé en substrat énergétique, il faut tout de même signaler une petite conversion de l’Érythritol consommé (possiblement jusqu’à 5 à 10%) qui serait métabolisé en érythronate[2] et pourrait à son tour rentrer dans la voie du Pentose Phosphate (PPP ou « pentose phosphate pathway » en anglais). Mais tout ça n’est encore qu’hypothétique et ne se trouve dans aucun manuel. La science sur ces sujets reste encore à produire.

Comment se fabrique l’Érythritol que nous trouvons dans le commerce ?

Vous serez surpris d’apprendre que l’Érythritol est très simple à fabriquer. Rien n’empêche techniquement d’en fabriquer artisanalement à la maison. Il faut un jus, qui peut être un jus de betterave à sucre (mélasse), du jus de canne à sucre, des sirops d’amidon de blé ou de maïs, ou pourquoi pas du sirop d’érable, dit autrement tout ce qui sert à fabriquer du sucre normal (saccharose). Ensuite, il faudra le faire fermenter grâce à un champignon. Il en existe plusieurs capables de faire ça. Ils sont ainsi sélectionnés pour leur rendement, c’est-à-dire la quantité de sucre qu’ils vont fermenter vs la quantité d’Érythritol qu’ils vont produire. Ça peut être Trichoderma reesei si vous voulez fermenter du blé, par exemple, mais ça peut aussi être une levure Trichosporonoides Megachiliensis si vous voulez directement fermenter des déchets végétaux, ou encore Candida Magnoliae plus spécifiquement utilisé pour fermenter le fructose… Enfin, il en existe des dizaines d’autres.

En résumé, produire industriellement de l’Érythritol est facile. C’est une opération réalisée par les leaders mondiaux de la production de sucre, comme Tereos, Tate & Lyle, Shandong Sanyuan Biotechnology ou bien encore Cargill. Le mode opératoire est le même que la production de sucre blanc ou roux, néanmoins on y ajoute une étape supplémentaire de fermentation. D’ailleurs, à ce stade il est bon de rappeler le processus utilisé pour ça, qui n’est rien d’autre que la voie des pentoses phosphates que nous allons aborder un peu plus loin. On prend un jus, on le fermente, on le cristallise et voilà votre Érythritol, aucune opération mystérieuse. Je connais bien ce milieu, puisque durant plus de 12 ans, j’ai été expert agroalimentaire pour une grande entreprise dont la fonction est de certifier la qualité de tout cela.

Forcément, l’étape de fermentation étant plus lente, le processus global de production est de fait plus long et plus coûteux que celui de la simple fabrication de sucre (saccharose). Retenez simplement qu’avec la même betterave, la même canne à sucre, ou le même sirop de maïs ou blé, grâce à l’ajout d’une étape de fermentation, on obtient de l’Érythritol plutôt que du sucre (saccharose).

De la même manière que le sucre, vous pouvez le trouver en version génétiquement modifiée (OGM), ou en version non-OGM. Ce n’est pas un problème spécifique à l’Érythritol, mais un problème concernant la matière première servant à produire le sucre. En Europe, le problème se pose peu, cependant aux USA, c’est une vraie question. J’ai d’ailleurs appris récemment que la marque Swerve bien connue aux USA et commercialisant des sucrants à base d’Érythritol, le fait fabriquer en France. Pour la petite histoire, la marque ne vend pas en Europe sous ce nom, bien qu’elle appartienne au groupe américain Whole Earth Brands . Vous trouverez les produits de ce groupe en Europe sous la marque PureVia 😊 Oui, le monde est petit pour les multinationales du sucre : Swerve pour les USA et PureVia pour la France avec un Érythritol français non-OGM.

Détendons-nous un peu avec quelques chiffres pour bien prendre la mesure de l’enjeu. La totalité de la production mondiale annuelle de tous les polyols (alcools de sucre comme l’Érythritol, le Sorbitol, le Xylitol, le Maltitol, etc.) représente environ 1,8 million de tonnes, qui sont à mettre en rapport avec les 180 millions de tonnes de sucre, c’est-à-dire 1% ! Notre Érythritol dans tout ça ne représente que quelques dizaines de milliers de tonnes par an, autrement dit une goutte d’eau !

À ce niveau de lecture, il est bon de vous rappeler que l’Érythritol a un pouvoir sucrant équivalent à seulement 70% du sucre (saccharose). C’est-à-dire qu’il est nécessaire d’en mettre plus que du sucre dans une recette pour obtenir le même goût sucré. Pour cette raison, on vient renforcer son pouvoir sucrant avec, par exemple, de la Stévia ou du fruit des moines (Monk Fruit). Ainsi, on associe le meilleur des deux. Pour l’anecdote, et les plus geeks d’entre nous, il est désormais possible d’obtenir uniquement grâce à la fermentation un assemblage d’Érythritol et de Stévia, mais sans stévia (la plante) ! Je m’explique sur ce tour de magie …

La molécule au goût sucré dans la Stévia (la plante), s’appelle Steviol glycosides Rebaudioside A (ou Reb A), mais il est possible de créer des glycosides Rebaudioside M (ou Reb M) à partir d’une fermentation, et donc sans extrait issu de la plante Stévia . Ainsi, à présent, on sait produire à partir d’un jus de canne à sucre, et grâce à une fermentation qui va produire de l’Érythritol, simultanément du Reb M capable d’augmenter le pouvoir sucrant du produit final ! On se retrouve ainsi avec de l’Erythritol + Stévia (Reb M), mais sans Stévia (la plante). 😊 Vous m’avez suivi ? On nous en a envoyé quelques échantillons en 2020, nous avons donc pu le tester. Et concrètement cela s’utilise comme du PureVia.

Où trouve-t-on naturellement l’Érythritol ?

C’est la forme de l’Érythritol que nous appellerons « Exogène », c’est-à-dire de l’Érythritol que nous allons ingérer. L’Érythritol est « un sucre » qui se trouve naturellement[3] dans beaucoup d’aliments bruts ou fermentés. Par exemple, les fruits, comme le melon, la pastèque, la poire, le raisin, contiennent de l’Érythritol, et les produits fermentés comme le Miso, la sauce soja ou le vin et la bière en contiennent aussi, tout comme le fromage. Ce qui est logique quand on a compris que l’Érythritol était un produit issu de la fermentation. Enfin, les champignons contiennent aussi une petite quantité d’Érythritol. Fait amusant, on peut même utiliser l’Érythritol comme engrais pour les végétaux, ils semblent aimer ça et croître plus vite[4]. En résumé, l’Érythritol est une forme de sucre rare, présent naturellement dans quantité de végétaux et présent aussi lors d’un processus de fermentation de différentes sources de glucides (mélasse, sirop de glucose, fructose, déchets végétaux comme la paille de blé, etc.).

Comment notre corps fabrique-t-il de l’Érythritol ?

C’est la forme de l’Érythritol que nous appellerons « Endogène », c’est-à-dire de l’Érythritol que notre corps va fabriquer. Ce point est important, car nous pouvons mesurer de l’Érythritol dans notre circulation sanguine, sans jamais avoir mangé le moindre gramme d’Érythritol exogène. De la même manière que nous pouvons mesurer le cholestérol ou le sodium de notre circulation sanguine sans consommer d’aliments riches en cholestérol ou en sodium… Ce que nous consommons est un sujet, nos niveaux sanguins en sont un autre, et mettre les deux en relation sera alors un troisième sujet. 

Ici, abordons un processus biologique complexe. Je vais essayer de le rendre accessible à tous. Car il demeure essentiel pour la compréhension de notre sujet du jour, c’est-à-dire le scandale planétaire initié après la publication de l’étude du 27 février 2023.

En se référant à une publication[5] de 2017, on comprend mieux comment cet Érythritol endogène se fabrique dans notre corps sous forme d’un métabolite grâce à la voie des pentoses phosphates. La date est importante, puisque si nous connaissons l’Érythritol depuis 1850, nous ne savons que depuis 2017 que notre corps en fabrique ! Je vais vous économiser tous les détails techniques (que vous pouvez directement consulter dans l’étude) pour aller droit au but. Cette étude nous indique un point essentiel dans notre production endogène d’Érythritol : « Les participants avec une HbA1c (hémoglobine glyquée bien connue du diabétique) supérieure à 5,05 % avaient un taux d’Érythritol sanguin 21 fois plus important que les participants avec une HbA1c plus faible (sous-entendue normale). Ce papier nous indique donc, que l’Humain fabrique de l’Érythritol, qu’il le fait à partir de la dégradation du glucose via la voie des pentoses phosphates, et que plus cet Humain est résistant à l’insuline, avec une glycémie haute et une HbA1c élevée, et plus il en fabrique. Dit autrement, la mesure de l’Érythritol dans la circulation sanguine est un bon candidat pour mesurer votre « santé métabolique ». Si vous êtes mince et en Keto, votre taux sanguin d’Érythritol sera probablement bas et si vous êtes obèse, diabétique et pas en Keto, il est probable que votre taux d’Érythritol sanguin sera élevé. C’est ce que vient confirmer une étude publiée en 2020 indiquant : « Un taux d’Érythritol sérique élevé prédit un futur gain d’adiposité centrale et un diabète sucré de type 2 chez des adultes en bonne santé. » Ci-dessous, le détail de la voie métabolique des pentoses phosphates utilisant le glucose (et le fructose) pour produire de l’Érythritol dans votre corps :